Nous célébrons cette année le 125e anniversaire de naissance de la bienheureuse Dina Bélanger. Cette femme a vécu sa vie comme un crescendo de lumière qui culmina, tel un élan d’amour infini, dans le cœur de « son Jésus ».
Ce temps de réjouissances est l’occasion de mieux connaître l’itinéraire magnifique de cette artiste, écrivaine et mystique née le 30 avril 1897, décédée de la tuberculose à l’âge de seulement 32 ans et qui s’inscrit dans le prolongement des Thérèse d’Avila, Catherine de Sienne et Thérèse de Lisieux.
Prélude
Dina grandit dans le faubourg Saint-Roch à une période où la ville de Québec est en pleine transformation. L’Église jouit alors d’une grande influence dans les domaines de l’éducation, de la santé et de la politique. La langue française est intimement liée à la foi et un ordre social religieux se perpétue de génération en génération.
Cette période est marquée par une situation mondiale instable. L’Europe est une poudrière prête à s’enflammer à tout moment. Une série de crises et des tensions inter-états ne sont pas sans nous rappeler la situation mondiale actuelle.
Premier acte
À l’école élémentaire, Dina se dit en elle-même, lorsque son enseignante lui explique qu’il n’existe pas de sainte Dina, qu’elle sera sainte et donnera une patronne à celles qui porteront son nom ! 1 Elle affirme déjà en son être l’intuition qui sera promulguée plus tard en 1964, dans la Constitution Lumen gentium, qui déclare que « l’appel à la plénitude de la vie chrétienne et à la perfection de la charité s’adresse à tous ceux qui croient au Christ, quel que soit leur état ou leur forme de vie » (LG 40).
Adolescente, elle développe ses intérêts, découvre ses talents et s’ouvre au monde qui l’entoure. Elle poursuit ses cours de piano et s’implique dans plusieurs œuvres caritatives. L’organiste de la paroisse Notre-Dame-de-Jacques-Cartier constate son talent musical et la prend sous son aile. Le vicaire de la paroisse, Mgr Omer Cloutier, constate à son tour que la jeune Dina est douée et l’encourage à poursuivre ses études en piano.
Alors âgée de 14 ans, Dina ressent le besoin d’indépendance et d’appartenir à un groupe. Elle demande à ses parents d’aller étudier au Couvent de Bellevue et d’être pensionnaire.
Maintenant âgée de 18 ans, Dina quitte Québec pour se rendre étudier la musique aux États-Unis. De 1916 à 1918, en pleine Guerre Mondiale, elle poursuit ses études à l’Institut Musical des Arts à New York. Elle est l’une des premières femmes au Canada à étudier dans l’institution qui deviendra plus tard le célèbre conservatoire Julliard School.
Interlude
Durant ses études, Dina Bélanger réside à la résidence Our Lady of Peace tenue par les Religieuses de Jésus-Marie, Congrégation qui deviendra plus tard sa famille religieuse. Cette période est pour elle le passage de l’adolescence à l’âge adulte. Elle ressent en elle l’attrait à consacrer entièrement sa vie à Dieu.
De 1918 à 1921, Dina retrouve ses parents à Québec. La vie sociale et les concerts bénéfices, au profit des veuves et des orphelins de la Première Guerre Mondiale, occupent cette période. Elle continue de creuser son désir d’entrer au couvent. Un jour, Jésus lui dit: « Je te veux à Jésus-Marie. »
Deuxième acte
Le 11 août 1921, Dina fait son entrée au Noviciat de Jésus-Marie, à Sillery. Elle revêt l’habit religieux et reçoit le nom de Marie Sainte-Cécile de Rome, le 15 février 1922. Le 15 août 1923, elle fait sa profession temporaire et cinq ans plus tard, elle prononce ses vœux perpétuels.
Dina est jeune, ardente et éprise de Dieu. Sa supérieure ne tarde pas à mesurer la profondeur de sa vie intérieure. Elle lui demande d’écrire sa vie. Par obéissance, la jeune religieuse se met à l’ouvrage.
La vie active de Dina est cependant interrompue par la maladie. Elle contracte la tuberculose et, à 29 ans, est confinée dans une chambre de l’infirmerie. Elle passe alors par une série d’expériences intérieures bouleversantes qu’elle nous raconte dans ses écrits.
Dernier acte
Dina consigne, jour après jour, et jusqu’à son décès, son histoire et sa vie intérieure. Sa supérieure recueille un à un les cahiers écrits de sa main.
Avant de mourir Dina écrit : «Au ciel, je serai une petite mendiante d’amour: la voilà, ma mission ! et je la commence immédiatement. » 2
Elle décède de la tuberculose le 4 septembre 1929. Elle a alors 32 ans.
Dina Bélanger est béatifiée le 20 mars 1993 par le pape Jean-Paul II qui fait d’elle la « Première « sainte » née à Québec, berceau de la civilisation chrétienne et française en Amérique ». 3
Apprivoiser les écrits « dinatiens »
Avant de lire l’autobiographie de Dina Bélanger certaines clés de lecture peuvent nous aider à mieux en recueillir toute la vitalité. Il importe, en fait, de traverser « l’écorce » culturelle de ses écrits et de laisser ensuite l’artiste Dina nous guider.
Le genre littéraire
Son langage, influencé par son époque, nous dévoile une profondeur insoupçonnée et un génie féminin d’une grande beauté. Le style romantique, dont Dina fait usage, privilégie notamment l’expression du moi et les thèmes de l’amour. De fait, Dina emploie le mot « amour » plus de six cent fois dans son autobiographie. Il n’est donc pas étonnant qu’elle lui donne le titre : « Mon chant d’amour ». 4
Une des originalités de Dina est qu’elle intègre à son autobiographie des dialogues avec Jésus. Ceux-ci tiennent à un genre littéraire inspiré d’ouvrages tel que Le Dialogue de sainte Catherine de Sienne et L’Imitation de Jésus-Christ, œuvres de piété chrétienne largement diffusées à l’époque de Dina et qu’elle mentionne dans ses écrits.
L’artiste mystique
Pour exprimer son expérience spirituelle Dina utilise les symboles tels que: « parterres infinis », le « jardin du Bien-aimé », « Artiste infini », « Divin Ami », « Flammes d’amour », etc.
Pour Dina, les images et les tableaux qu’elle utilise sont plus fidèles à la réalité qu’elle nous exprime que l’utilisation de concepts. Son autobiographie, ne cherche pas à susciter un débat. De fait, « La clarté est bonne pour convaincre; elle ne vaut rien pour émouvoir. » 5 Dina veut plutôt raconter aux lecteurs comment la grâce de Dieu agit en elle. Elle dit d’ailleurs que d’écrire sa vie fut l’acte lui ayant le plus coûté dans sa vie. 6
À l’exemple du peintre, tous les sens de Dina sont en éveil. Elle perçoit, ressent, visualise, respire, entend, goûte et immortalise sur papier son vécu. Tel un aimant, elle attire le divin et le consigne dans ses cahiers de notes afin de répondre à la demande de sa supérieure.
Un livre expérienciel
L’autobiographie de Dina est donc davantage un témoignage personnel qu’une explication objective. Le but de Dina est de nous émouvoir. Ce ne sont point tant les idées exprimées qui comptent pour elle, mais bien l’impression qu’elle laisse dans le cœur du lecteur.
Dina porte en elle un feu d’amour qui la consume et elle le partage en toute transparence. Elle nous confie les parts lumineuses, et parfois ombrageuses, qui se côtoient en elle et comment, la Trinité vient à son aide en déversant en son âme « ses richesses de miséricorde et d’amour ». 7
L’influence de Thérèse de Lisieux
L’autobiographie de Dina s’inscrit dans la continuité de l’Histoire d’une âme écrite par Thérèse de l’Enfant-Jésus (1873-1897). Dans les deux cas, les deux jeunes religieuses font preuve d’un génie intuitif inouï.
L’on peut d’ailleurs observer plusieurs points communs entre les deux religieuses :
- Thérèse décède en 1897 et Dina naît la même année;
- Elles ont très jeune une attirance pour la vie religieuse et, dès l’enfance, le désir de devenir « saintes »;
- Elles reçoivent toutes deux une grâce de conversion à Noël;
- Le jour de leur première communion elles ressentent la présence de Jésus;
- Elles demandent à entrer au couvent avant l’âge permis;
- Elles prient pour les âmes perdues : Thérèse (Henri Pranzi) et Dina (victimes de la guerre);
- Toutes deux ont des dispositions artistiques. Thérèse est douée pour la poésie et le théâtre alors que Dina est musicienne et auteure;
- Dans les deux cas leur vie religieuse fut courte : huit et neuf ans respectivement ;
- Elles ont écrit leur autobiographie à la demande de leur mère supérieure ;
- Les deux femmes sont résolument christocentriques et missionnaires ;
- Elles se réfugient dans l’abandon, la confiance et l’amour pour appartenir totalement à Jésus ;
- Elles font l’expérience de la petitesse et de la miséricorde infinie de Dieu;
- Elles ont été emportées par la même maladie; et
- Les deux annoncent qu’elles passeront leur ciel « à faire du bien » et à « donner de la joie » sur terre.
Thérèse et Dina sont deux jeunes religieuses profondément amoureuses de leur Dieu. Elles témoignent une force d’aimer qui n’a pas de frontière temporelle. Dina écrit : « D’amour, je veux vivre et mourir ! » alors que Thérèse écrit : « Aimer jusqu’à mourir d’amour ».
Foi et culture
Pour Dina, il n’existe pas de « divorce entre la foi et la culture. » 8 Au contraire, pour elle celles-ci forment les notes « d’accords vibrants dans les symphonies éternelles, à la louange de l’Éternel. » 9
En cela, Dina s’inscrit, avant son temps, dans l’esprit de Vatican II « qui a jeté les bases de relations renouvelées entre l’Église et la culture. » 10 Elle témoigne, à travers sa vie, de la « Beauté Suprême» 11 , celle-là même dont parle Dostoïevski lorsqu’il écrit « C’est la beauté qui sauvera le monde » 12 . Cette beauté inonde Dina complètement et « rend son désir d’amour, extrême! » 13
Cette jeune femme de Québec porte en elle les valeurs canadiennes françaises, la foi héritée de ses ancêtres, l’influence nord-américaine, la réalité féminine de son temps ainsi qu’un don musical dès plus singulier. Elle incarne aussi toute une génération de femmes qui a répondu à l’appel à vivre, servir et aimer leur prochain à travers la vie religieuse.
Le « petite Moi-même »
Le pape François, écrit dans Gaudete et exultate, exhortation apostolique sur l’appel à la sainteté dans le monde actuel, que la sainteté «consiste à s’associer à la mort et à la résurrection du Seigneur d’une manière unique et personnelle, à mourir et à ressusciter constamment avec lui. »
Tout au long de son cheminement Dina découvre qu’en raison de sa santé fragile elle ne peut accomplir tout ce qu’elle aurait voulu. Elle découvre alors que son « extrême pauvreté, sa faiblesse et la profondeur de son néant » 14 sont des lieux de rencontre avec Jésus.
Dina vit si bien sa devise « Aimer et laisser faire Jésus et Marie » que Jésus se substitue à elle au point de l’appeler sa « petite Moimême ». De par notre baptême ne sommes-nous pas configurés au Christ ? L’image de Jésus n’est-elle pas imprimée en nous pour l’éternité ?
L’expression « ma petite Moi-même » en est une que l’on retrouve chez plusieurs mystiques de l’Église. Thérèse d’Avila écrit : « Je vis mais sans vivre en moi-même ». Elle écrit aussi que « Ce n’est plus en moi que je vis depuis que d’amour je meurs, puisque je vis dans le Seigneur qui m’a toute voulue à Lui. » 15 Enfin, cette association à la vie de Jésus fait écho aux paroles de Saint Paul lorsqu’il écrit « Ce n’est plus moi qui vis mais le Christ qui vit en moi » (Ga 2).
Aussi, plus Dina laisse la présence de Jésus vivre en elle, plus elle devient le visage de Jésus pour les autres. Elle écrit :
« L’amour est l’unique motif de mes désirs : je souhaite que Jésus crucifié se reproduise en moi, afin que je puisse lui ressembler le plus parfaitement possible, et, par lui, d’appliquer aux âmes ses mérites inépuisables.» 16
Tel un vitrail placé dans la lumière du Christ, Lumière du monde, Dina est traversée par l’amour de Jésus. C’est la raison pour laquelle l’Église la reconnaît bienheureuse.
Des « icônes intérieures »
Dina présente dans ses écrits des tableaux visuels (exemple : L’Hostie et l’Étoile, le Cœur Eucharistique) qui peuvent, à prime à bord, s’apparenter à des visions.
Tel que le père François Marie Léthel le suggère il s’agit plutôt « d’icônes intérieures » qui se rapprochent des « visions imaginaires » de Thérèse d’Avila et de plusieurs autres mystiques. 17 Ici, « imaginaire » ne signifie pas irréel. Dina regarde le monde qui l’entoure avec les yeux de son âme. Elle-même, afin de ne pas laisser planer de doute, en avise les lecteurs dans son autobiographie :
« Je m’explique une fois pour toutes au sujet des expressions que j’emploierai telles que : je voyais… Jésus me dit… et autres semblables. Cela signifie : je voyais dans mon imagination ; Jésus me dit par la voix intérieure que toute âme entend au fond de son cœur au moment des consolations divines. » 18
« À certains moments, la voix de Jésus se faisait entendre au fond de mon cœur. » 19
« Sa lumière présentait aux yeux de mon imagination des tableaux que je ne connaissais pas. » 20
« Le Sauveur se fait entendre dans le recueillement, la paix, le silence. Sa voix est si douce que, en l’âme, tout doit se taire. » 21
Ainsi, l’Esprit Saint utilise les talents artistiques de Dina, sa créativité et sa sensibilité pour lui inspirer des images et des paroles significatives pour elle. Il convient donc de relativiser l’aspect parfois « révélations privées » de l’expérience de Dina, car l’essentiel de la vie mystique ne consiste pas, pour l’Église, en des phénomènes extraordinaires, mais dans la foi, l’espérance et l’amour.
Épilogue
Mgr Camille Roy, recteur de l’Université Laval, écrit dans la préface de la première édition de l’autobiographie de Dina Bélanger :
« Notre société a vraiment besoin qu’on lui fasse connaître des âmes qui lui rappellent le sens de la vie, des âmes toutes prochaines qui lui montrent, vivantes et nécessaires, des vertus qu’elle croit superflues ou impossibles à pratiquer. »
Ces mots écrits en 1934 sont toujours actuels, surtout en cette période où notre monde a tant besoin d’amour, d’entraide et d’espoir.
Puisse cette année du 125e anniversaire de naissance de la bienheureuse Dina Bélanger nous faire découvrir, ou redécouvrir, combien nous sommes aimés de Dieu « infiniment, éternellement et divinement » 22 . Entrons avec Dina dans ces festivités, elle qui nous dit « Je m’en vais chez le bon Dieu travailler jusqu’à la fin du monde pour les âmes… Je donnerai de la joie ! » 23
Il est possible de se procurer l’autobiographie de la bienheureuse Dina Bélanger en communiquant avec le Centre Dina-Bélanger à l’adresse directioncentredina@gmail.com ou en appelant au 1 (418) 687-9260.
- Dina Bélanger, Autobiographie, 5e édition, Québec, Religieuses de Jésus-Marie, p.54. ↩︎
- Ibid., p. 238. ↩︎
- Ghislaine Boucher, « BÉLANGER, DINA, dite Marie Sainte-Cécile-de-Rome », dans Dictionnaire biographique du Canada , vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 27 juin 2022, http://www.biographi.ca/fr/bio/belanger_dina_15F.html. ↩︎
- Dina Bélanger, op. cit., p.192. ↩︎
- Denis Diderot, Recherche sur Didérot et sur l’encyclopédie, 1987, no.2, pp. 77-122 ↩︎
- Dina Bélanger, op. cit., p. 15. ↩︎
- Dina Bélanger, Ibid., p. 123-124. ↩︎
- Jean-Paul II, Homélie à l’Université Laval, 9 septembre 1984. ↩︎
- Dina Bélanger op. cit., p.133. ↩︎
- Jean-Paul II, Lettre aux artistes, 1999. ↩︎
- Dina Bélanger op. cit., p.95. ↩︎
- Fiodor Dostoïevski, L’Idiot, Trad. André Markowicz, Ed. Actes-Sud, coll. Babel, 1993, T. II, p. 102. ↩︎
- Dina Bélanger op. cit., p.95. ↩︎
- Ibid., p. 39. ↩︎
- Thérèse D’Avila, Je vis mais sans vivre en moi-même, Éditions Allia, Paris, 2008, p.19 ↩︎
- Dina Bélanger op. cit., p.304. ↩︎
- François Marie Léthel, présentation de la 5e édition de l’autobiographie de Dina Bélanger, Religieuses de Jésus-Marie, Québec, 1995, p.17-37. ↩︎
- Dina Bélanger op. cit., p.105. ↩︎
- Dina Bélanger, op. cit., p.104. ↩︎
- Ibid., p.104. ↩︎
- Ibid., p.104. ↩︎
- Ibid., p.249. ↩︎
- Ibid., p. 343. ↩︎